Mélissa KODITUWAKKU, doctorante au CREDO - Centre de Recherche et de Documentation sur l’Océanie (AMU-CNRS-EHESS)

Melissa Kodituwakku est doctorante au CREDO - Centre de Recherche et de Documentation sur l’Océanie (AMU-CNRS-EHESS). Elle travaille sur l’émergence des « arts » en tant que patrimoine aux îles Marquises et au-delà (titre de thèse : "Le Matavaa O Te Henua Enana ou « Le réveil des Marquises » ", sous la direction de James Leach, Anthropologue,  Directeur de recherche CNRS et la co-direction de Sébastien Galliot, Anthropologue, Chargé de Recherche CNRS)

Après un premier repérage de 4 mois en 2021, l’année 2022 est pour Mélissa K. l’année du « grand départ » sur son terrain pour une durée de 12 mois.
Rencontre avec une jeune doctorante à la veille de son départ (avril 2022).

(entretien réalisé à Marseille en mars 2022)

Parcours

C'est dans le cadre de sa licence en histoire de l'art (Nanterre), en 2014-2015, que Melissa a découvert l'anthropologie, dont le processus visant à « réfléchir à d'autres manières de comprendre le monde » s'est rapidement transformé en révélation. Littéralement. L'année suivante, elle a effectué une nouvelle licence, cette fois en anthropologie (Lyon). Passionnée par ailleurs de cinéma documentaire, Melissa a par la suite intégré la toute première promotion du Master en anthropologie visuelle et numérique de Aix-Marseille Université, en 2018, puis rejoint en 2ème année le Master en Sciences sociales de l’EHESS dans la mention « Recherches comparatives en anthropologie, histoire et sociologie » à Marseille (2019-20). Elle y a a réalisé son premier film de recherche (sur l'agentivité des marges - de l'anglais Agency - au sein de la biennale d'art contemporain de Lyon.

A la suite de son Master, Melissa envisageait de faire une thèse, sans initialement d’aire géographique déterminée. C'est en entendant parler du  Matavaa O Te Henua Enana - événement aux îles Marquises consacré aux chants et danses traditionnels, à l’artisanat et l’art culinaire - créé à la fin des années 80 et qui se déroule tous les 2 ans - qu'elle a décidé de consacrer sa thèse à l’étude des revendications de l'identité marquisienne à partir de la culture et des arts traditionnels considérés comme distincts d'avec le reste de la Polynésie depuis la création de la manifestation en 1987 par les habitants de l'archipel des Marquises (9 000 habitants).

Projet de thèse 

Historiquement, la transmission de la culture marquisienne, essentiellement orale, a été rompue par les colons et les missionnaires au XIXème siècle du fait de nombreuses interdictions (langue, tatouage, pratiques rituelles et religieuses).

Ce n'est que bien après la transformation de la Polynésie en TOM (en 1946) qu'un certain « éveil identitaire » des Marquises s'est initié, suite  à l’introduction de l’enseignement de la langue tahitienne – qui n’est pas la langue parlée aux Marquises – dans les écoles de Polynésie française (1981-83), perçue comme une imposition culturelle assimilationniste.

Les questions de construction identitaire contemporaine à partir de la culture et des arts propres à ce territoire ont largement motivé Melissa dans son choix de sujet de thèse, d'autant plus que les Marquises ont par le passé fait l'objet de nombreuses études, souvent axées sur la « culture traditionnelle », et non sur la situation contemporaine de ses habitants, qui est et resteaujourd’hui très mal connue.

Souvent cité dans les études, le festival des arts aux Marquises (Matavaa O Te Henua Enana, littéralement « Le réveil de la Terre des Hommes » n'a jamais fait l'objet d'une étude spécifique. 

Véritable célébration traditionaliste de la culture marquisienne avec une volonté affirmée de transmission aux jeunes générations, le festival Matavaa O Te Henua Enana a ainsi été choisi par Melissa comme terrain afin d'étudier le rôle que jouent les manifestations culturelles dans les constructions et les revendications identitaires, culturelles et politiques de territoires post-coloniaux, et d'en mesurer les différents enjeux.

L'utilisation du mots arts plutôt que traditions dans l'intitulé même de la manifestation n'est en ce sens pas anodine. Melissa questionne précisément dans son étude le rôle spécifique qu’exerce l’« art » - en tant qu’objet et en tant que pratique - dans les représentations, les circulations et dans les modes d’exposition de la culture marquisienne, tout en interrogeant les raisons de l’invocation de la catégorie « art » comme patrimoine pour présenter et revendiquer certains aspects culturels (que ce soit par rapport à la France ou à la procédure de classification au Patrimoine mondial de l’UNESCO engagée depuis déjà une trentaine d'années par les îles Marquises), et donc bien-sûr politiques. 

« D’où est-ce que nous venons, où est-ce que nous allons ? » (1999), « Les porteurs de savoirs » (2006), « Les apprentis et les héritiers, ce qu’ils ont appris de leurs maîtres » (2011), « Comment la culture peut-elle contribuer à la protection et à la préservation de l’environnement ? » (2012),« “La croissance” de la culture marquisienne » (2017) oui bien encore « La langue héritage ancestral » (2022) : autant d'exemples de thématique du Matavaa qui en font aujourd'hui le support témoin de la culture matérielle et immatérielle des îles Marquises pour ce projet.

L'étude de Melissa questionne ainsi, plus largement, les raisonnements en œuvre dans ce type de revendications de protection de patrimoine culturel et aussi identitaire de la société marquisienne contemporaine, et interroge ainsi la nature problématique de notions telles que« biens culturels », « patrimoine » ou bien encore « tradition » dans un territoire post-colonial tel que les îles Marquises. 

Et après ?

Sans avoir encore d'idée très précise sur une orientation professionnelle dédiée à la recherche, Mélissa espère bien en tous cas pouvoir, après sa thèse, utiliser l'anthropologie dans ce qu'elle fera car selon elle, « l'anthropologie est aussi un outil de sensibilisation à un contexte contemporain », qui permet de « défiger » des éléments comme la culture matérielle ou bien les techniques et de « donner de la visibilité à des aspects ou des endroits du monde d'aujourd'hui ».

Melissa envisage aussi de réaliser  un film de recherche, outil de restitution du travail ethnographique plus accessible que l'écrit, qu'elle pratique en parallèle, dans la perspective de partager avec les Marquisiens son travail sur leur culture, contre-don impératif pour Melissa vis à vis de ses « enquêtés ».

Et qui sait : peut-être ce futur film servira-t-il d'une manière ou d'une autre le classementUnesco de patrimoine « mixte » (culture et nature) attendu par les Marquisiens de pourleur archipel.

 

Prochaine édition du MATAVAA O TE FENUA ENATA du 07 au 10 juillet 2022

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CREDO - Centre de Recherche et de Documentation sur l'Océanie Université d'Aix-Marseille 3, Place Victor Hugo 13003 Marseille