"Mais qui a tué Lucy ?"

Publié par Institut Esope 21 - Membre Du Réseau Culture Science Sud, le 2 octobre 2019   10k

Plusieurs hypothèses sur la mort du (de la) plus célèbre des australopithèques ...

Première version

Découverte il y a plus de 40 ans, Lucy a encore des secrets à livrer aux paléontologues. Grâce à une analyse poussée de son fossile, des chercheurs viennent de comprendre comment le célèbre australopithèque serait mort. Dans une étude publiée lundi 29 août dans Nature, John Kappelman de l’université américaine d’Austin et ses collègues affirment que la mort de Lucy a pu être causée par une chute depuis un arbre. Cette cousine de l’Homo Sapiens vieille de 3,2 millions d’années et vivant en Ethiopie a, depuis sa découverte en 1974, été l’objet d’un débat: les australopithèques, une des premières espèces bipèdes, vivaient-ils encore en partie dans les arbres?

Des fractures caractéristiques Pour les chercheurs, la cause de la mort de Lucy peut permettre de répondre à cette question. Alors pour en savoir plus, ils ont analysé les nombreux os fossilisés de Lucy dont dispose la communauté scientifique. Grâce à une analyse à rayons X tomographique (qui permet de reconstituer le volume d’un objet incomplet), les chercheurs ont pu reproduire avec fidélité la totalité de l’humérus grâce à l’impression 3D. Ils y ont découvert les restes de fractures. La fin de l’humérus, notamment, était fracturée d’une manière anormale. Il y avait aussi des traces de fractures sur la cheville ou encore le genou. En les analysant, avec l’aide d’un chirurgien orthopédique, les scientifiques ont jugé que la cause la plus probable était une chute mortelle, d’une hauteur d’au moins 12 mètres. Lucy serait tombée sur ses pieds, puis aurait essayé d’amortir le choc avec sa main.

Deuxième version

« Il semble que Lucy ne se soit pas tuée en tombant d’un arbre. » Christophe Griggo, archéozoologue et taphonomiste au laboratoire Edytem de l’université de Savoie-Mont-Blanc et maître de conférences à l’Université de Grenoble-Alpes a accepté de réexaminer pour Sciences et Avenir les éléments du squelette de Lucy, l’Australopithecus afrensis découverte en 1974 dans l’Afar éthiopien. Dans une étude parue dans Nature l’anthropologue John Kappelman, de l’université du Texas à Austin (États-Unis), estime en effet que cette australopithèque arboricole et bipède s’est tuée en chutant d’un arbre, subissant de multiples fractures au passage. Christophe Griggo est spécialiste en archéozoologie, la science qui étudie les restes des animaux pour comprendre leurs relations avec l’homme, mais aussi en taphonomie osseuse. La taphonomie est une discipline qui s’intéresse à tous les processus naturels ou anthropiques qui peuvent affecter les ossements au cours de la fossilisation, depuis la mort de l’animal jusqu’à leur découverte. Son expertise lui permet de déterminer si des brisures sur des ossements ont été provoquées par un accident ante mortem, ou causées post mortem par des glissements, remaniements ou compactage des terrains où le corps de l’animal a été enseveli. Il a également étudié des dizaine de milliers d’ossements d’animaux préhistoriques tombés dans des avens (gouffres), sur lesquels il a pu repérer, dans de très rares cas, la signature incontestable d’une chute. Rien de tel sur Lucy, apparemment. Os frais, os sec : des fractures différentes

“La lecture de l’article publié dans Nature et un examen approfondi des illustrations — ainsi que d’autres images du squelette de Lucy — , me font penser que Kappelman et ses collègues profitent de la notoriété de Lucy pour faire le buzz, pointe-t-il. L’aspect des différentes fractures ou fissures indique qu’elles résultent très certainement de problèmes taphonomiques post mortem.” Et d’énumérer : “La tête de l’humérus, le plateau tibial, le sacrum, le pelvis, le tibia distal et le fémur distal présentent des écrasements qui pourraient bien correspondre à des mouvements du sédiment ou à un compactage sédimentaire.” Un sol peut se compacter sous le poids des sédiments ou glisser le long d’une pente, même très faible ou encore se tasser après évaporation de l’eau. “Les fractures des os longs, comme l’humérus, sont très souvent perpendiculaires à l’axe longitudinal des os, et surtout l’aspect assez irrégulier des cassures est caractéristique d’une fracturation sur des os secs… donc survenues longtemps après la mort.”

Christophe Griggo s’étonne que John Kappelman ne se soit pas penché sur la morphologie des surfaces de cassure des os longs. “C’est l’observation indispensable que fait tout archéozoologue pour distinguer des cassures faites sur os frais de celles faites sur os secs, explique-t-il. Lorsqu’un os frais a été brisé, (au cours d’une chute, d’un accident ou pour l’extraction de la moelle), on retrouve des cassures en spirale et présentant des surfaces de cassure lisses. En revanche, des cassures (dues à des mouvements du sol ou à des compactages des sédiments) sur os sec, ayant perdu tout ou partie de son collagène, donnent des cassures perpendiculaires ou parallèles à l’axe de l’os, et des surfaces de cassure irrégulières.”

Piétinée par un troupeau ? Noyée ? Le chercheur français partage donc les doutes exprimés par Donald Johanson, de l’université d’État de l’Arizona et Tim White, de l’université de Californie à Berkeley, deux paléontologues américains qui partagent la paternité de la découverte de Lucy, il y a 42 ans, avec le paléoanthropologue français Yves Coppens.

Interrogé par le Guardian, Donald Johanson estime que Lucy aurait tout aussi bien pu être piétinée par un troupeau après sa mort, avant d’être recouverte par les sédiments et progressivement intégrée dans la roche. “Il y a des myriades d’explications pour de telles fractures, proteste l’archéologue. Le scénario selon lequel elle serait tombée de l’arbre n’en est qu’un parmi d’autres […] impossible à prouver.” Tim White, de son côté identifie les “fissures” du squelette de Lucy comme des “dommages de routine infligés aux fossiles”, comme on en voit par centaines sur le terrain. “Si les paléontologues devaient appliquer la même logique et conclusion aux nombreux mammifères dont les os fossilisés ont été tordus, malmenés par les forces géologiques, alors nous aurions aussi des gazelles, des hippopotames, des rhinocéros et des éléphants grimpant aux arbres et tombant des branches”, ironise le paléontologue.

Le mystère sur les circonstances de la mort de Lucy, il y a 3,2 millions d’années, est donc loin d’être éclairci. Mais une hypothèse reste valable : si le fossile nous est parvenu aussi complet avec ses 52 os, c’est probablement parce qu’il a été enseveli très vite dans les sédiments qui l’ont protégé de l’altération climatique et des charognards. Dans les années 1980, les chercheurs imaginaient même que Lucy, découverte dans les alluvions d’une ancienne rivière, avait pu mourir… noyée.