L’odyssée de l'arbre de fer

Publié par OSU Institut Pythéas - Membre du Réseau Culture Science Sud, le 22 novembre 2022   810

Savez-vous que les forêts européennes comptent bien moins d’espèces de plantes que leurs équivalentes nord-américaines ou asiatiques ? Cette réalité d’aujourd’hui n’était pas le cas hier. Non, il ne s’agit pas d’impact humain, mais de l’histoire biogéographique des taxons végétaux qui autrefois présents en Europe ont, pour beaucoup, disparu de la région des suites des glaciations compte tenu de la particularité géographique européenne. Dans une étude publiée dans Review of Palaeobotany and Palynology, une équipe de chercheurs eurasiatiques s’est intéressée particulièrement à l’un de ces taxons dont l’histoire biogéographique apparaît désormais bien plus complexe que nous le pensions.

Pour restituer et comprendre l’histoire biogéographique des plantes et des écosystèmes en général, les chercheurs s’intéressent à une multitude de restes végétaux (feuilles fossiles, grains de pollen, fruits, graines) qui sont souvent très bien conservés dans les sédiments. Ils s’accumulent dans les bassins sédimentaires d’où ils peuvent être extraits et analysés des millions d’années plus tard, une approche essentielle de la paléoécologie. Parmi les restes végétaux, les grains de pollen ont mis en lumière la diminution importante de la biodiversité végétale en Europe au cours des cinq derniers millions d’années. En effet, la morphologie du pollen permet d’identifier la plante qui l’a produit, le plus souvent jusqu’au niveau du genre.

Pourtant, une équipe internationale est parvenue à différencier les deux espèces actuelles du même genre Parrotia, ce qui constitue une avancée capitale.

En effet, le Parrotie de Perse, encore appelé Arbre de fer (Parrotia persica C.A.Mey) fut pendant des décennies considéré comme la seule espèce du genre. Aujourd’hui cette espèce est endémique de la forêt hyrcanienne (sud de la mer Caspienne) mais fut autrefois très répandue sur le continent européen. Les pollens de Parrotia trouvés dans les archives sédimentaires étaient automatiquement affiliés à P. persica. Cela signifie également que tous les paramètres écologiques de P. persica étaient transposés dans les restitutions paléoécologiques. À vrai dire les pollens fossiles sont morphologiquement très proches en microscopie optique de ceux de l’espèce P. persica et il en va de même pour les feuilles fossilisées. Mais voici une dizaine d’années que l’existence d’une autre espèce, Parrotia subaequalis (Hung T. Chang) R.M.Hao & H.T. Wei, a été mise en évidence en Chine à plus de 600 km de la forêt caucasienne.

Les feuilles ont été étudiées en premier avec des conclusions sans appel : les feuilles, à bords lisses, du Parrotie de Perse sont aisément distinguables de celles de son cousin chinois aux bords dentés. Notre étude met en lumière des différences morphologiques significatives entre les grains de pollens des deux espèces en microscopie électronique à balayage, appuyées par une différenciation biométrique. Ces différences morphologiques ont été décelées dans le registre fossile, les spécimens antérieurs à 15 millions d’années paraissant attribuables au Parrotie chinois alors que les spécimens plus récents s’apparentent au Parrotie persan, ce qui ouvre de nouvelles perspectives de recherche sur le matériel pollinique fossile abondamment disponible.

Cette étude illustre combien notre connaissance de la biodiversité des forêts est encore incomplète. Sachant que les forêts européennes étaient plus riches avant les glaciations, il apparaît que leur richesse passée reste sous-estimée. Aujourd’hui, ces aires de répartition résiduelles minuscules comme la forêt hyrcanienne, sont des puits de connaissance inestimables et leur préservation est cruciale pour éclairer le passé de nos forêts afin d’anticiper leur devenir.

Le cas de Parrotia n’est certainement pas une exception et la variabilité dans le temps de nombreux autres taxons végétaux restent encore à approfondir. Ces études visent inexorablement à clarifier l’évolution de la diversité végétale sur notre le continent européen.

Comparaison du pollen de Parrotia persica (à gauche) et Parrotia subaequalis (à droite) observé en microscopie électronique à balayage. Aujourd’hui l’espèce P. persica est endémique de la forêt hyrcanienne située au nord de l’Iran et sur l’est de l’Azerbaïdjan ; l’espèce P. subaequalis est endémique d’une petite aire géographique à l’est de la Chine. Crédit : B. Adroit

Objectifs de Développement Durable

  • Objectif 13 Lutte contre les changements climatiques : Prendre d’urgence des mesures pour lutter contre les changements climatiques et leurs répercussions
  • Objectif 15 Vie terrestre : Préserver et restaurer les écosystèmes terrestres, en veillant à les exploiter de façon durable, gérer durablement les forêts, lutter contre la désertification, enrayer et inverser le processus de dégradation des sols et mettre fin à l’appauvrissement de la biodiversité.

Laboratoires CNRS impliqués

  • Institut méditerranéen de biodiversité et d’écologie marine et continentale (IMBE - CNRS / Aix-Marseille Université / Avignon Université / IRD)
  • Institut des sciences de la Terre Paris (ISTeP - CNRS / Sorbonne Université)

Référence

Benjamin Adroit, Friðgeir Grímsson, Jean-Pierre Suc, et al. Are morphological characteristics of Parrotia (Hamamelidaceae) pollen species diagnostic ? ; Review of Palaeobotany and Palynology ; Volume 307, December 2022, 104776

Contact

Elodie Brisset, Communication - Institut Méditerranéen de Biodiversité et d’Écologie (IMBE - CNRS / IRD / Avignon Université / Aix Marseille Université)

Voir en ligne : Le communiqué sur le site de l'OSU