REDRESS : Un projet ambitieux pour restaurer les écosystèmes marins profonds !

Publié par L'Ifremer en Méditerranée, le 24 septembre 2024   250

Durée de lecture : environ 8 min.


C'est tout sourire que nous retrouvons Marie-Claire Fabri qui est ingénieure de recherche en écologie benthique à l'Ifremer, au sein du Laboratoire Environnement Ressources Provence Azur Corse (LER PAC), situé à La Seyne-sur-Mer. Elle répond à nos questions pour nous éclairer sur le projet européen REDRESS, coordonné par l'Université polytechnique des Marches (Universita Politecnica delle Marche), auquel elle participe activement et qui implique l'Ifremer et ses partenaires dans une initiative ambitieuse dédiée à la restauration des écosystèmes marins profonds.

Photo prise en juillet 2024, à Pise, lors de la visite de l'usine de fabrication des récifs artificiels. © Antonio De Santo

Peux-tu nous expliquer ce qu'est REDRESS ?

REDRESS c’est l'acronyme de « Restoration of Deep-Sea Habitats to Rebuild European Seas », Restauration des habitats en eaux profondes pour reconstruire les mers européennes. Il s'agit d'un projet européen Horizon Europe qui rassemble 27 partenaires issus de 15 pays, et qui s'étend sur quatre ans, de février 2024 à janvier 2028. Il vise à restaurer les écosystèmes marins profonds, au-delà de 200 mètres de profondeur, en ciblant plus spécifiquement les fonds meubles chalutés, les coraux mous, les champs d'éponges et les coraux d'eau froide.

Quels sont ses objectifs ?

Le premier axe consiste à cartographier la répartition de certains habitats profonds essentiels, ainsi que leur dégradation, et à identifier des zones refuges prioritaires pour la restauration intégrant les impacts du changement climatique et permettant la continuité de la fourniture de leurs services écosystémiques .

REDRESS s'appuie également sur les avancées d'un projet européen antérieur, H2020 MERCES, et développe des solutions basées sur la nature pour restaurer ces écosystèmes profonds à grande échelle, en utilisant des approches innovantes et des technologies avancées. Les résultats incluront de nouvelles méthodologies, des protocoles standardisés, des cartographies détaillées, ainsi que des critères de succès pour appliquer la loi sur la restauration de la nature qui a été adoptée le 17 Juin 2024 par le Parlement européen.

En effet, ce projet a également pour objectif de soutenir l'engagement de la Commission européenne en faveur de la biodiversité, en répondant à cette nouvelle loi sur la restauration de la nature et en ciblant la réhabilitation des écosystèmes marins profonds dégradés. Son ambition est de participer à la protection des écosystèmes marins vulnérables contre les effets néfastes de la pêche de fond, de restaurer durablement ces habitats et leurs services, mais aussi d'étendre les zones protégées tout en démontrant les succès des restaurations entreprises. Le projet s'engage également à élaborer une méthodologie pour évaluer les aspects socio-économiques de ces initiatives, ainsi qu'à analyser les structures et processus de gouvernance qui les soutiennent.

Quel est le rôle de l'Ifremer dans tout cela ?

L'Ifremer est fortement impliqué dans REDRESS à travers plusieurs axes, des workpackages, et tâches spécifiques. Nous sommes notamment chargés de gérer et d'organiser la modélisation des habitats probables, en intégrant le changement climatique, afin d'identifier les zones refuges en Méditerranée et dans l'Atlantique pour des espèces marines vulnérables, telles que les coraux d'eaux froides et autres cnidaires, comme les pennatules et les gorgones, menacés par la pêche.

Nous allons également jouer un rôle clé dans les interventions de restauration active des coraux froids, dégradés par le chalutage de fond au cours du siècle dernier sur la marge atlantique. Nous sommes spécifiquement chargés de la restauration de deux zones historiquement connues pour abriter des coraux, actuellement impactées par le chalutage et désormais protégées, situées entre 800 et 1 000 mètres de profondeur.

Nous allons également utiliser des technologies innovantes pour suivre les efforts de restauration en eaux profondes. Sur une zone ayant fait l'objet d'une réimplantation de coraux mous en mer du Nord, un ensemble innovant de micro-AUVs développés par la société DEESS (devenue Cosma), lauréate du concours d’innovation Octo'pousse, nous permettra de survoler et d'imager de grandes zones de substrats meubles. La photogrammétrie produite permettra de conserver une image du fond à un instant T et nous permettra de produire des indicateurs de suivi de la restauration. Le Pagure, un système de vidéo sous-marine remorquée développé par l’Ifremer, sera utilisé pour observer la vitesse de récupération de l'habitat benthique dans les zones de fermetures temporaires de la pêche aux engins traînants du Golfe du Lion.

Photo prise en 2011 par le robot téléopéré Victor 6000. lors de la campagne BobEco, à bord du navire océanographique "Pourquoi pas ?". L'objectif des scientifiques était d'observer les formations coralliennes profondes au large du golfe de Gascogne et des côtes irlandaises. ©BobEco

Quelles sont les prochaines échéances et perspectives du projet ?

Nous avons déjà participé à une campagne en mer pour la mise à l'eau des récifs artificiels sur la zone atelier du projet, le Canyon de Dohrn, devant Naples, en mai 2024.

Au cours de l'été, nous avons organisé un atelier de travail réunissant tous les protagonistes de la restauration de l'écosystème des coraux d'eau froide du projet répartis sur 4 sites sur la marge atlantique et une zone atelier en Italie. Cette réunion a eu lieu près de Pise, à côté de l'usine de production des récifs artificiels qui a été choisie pour le projet. Nous avons donc pu visiter cette usine, finaliser le choix des récifs, mais aussi faire un point sur les échéances de livraison pour chaque campagne en mer, ainsi que sur la logistique et le transport des récifs. Un état de l'art sur la reproduction des deux espèces de coraux considérées dans le projet, Desmophyllum pertusum et Madrepora oculata, et des discussions sur le côté technique de la fixation des boutures de coraux sur les récifs artificiels ont permis de partager l'état des connaissances entre tous les partenaires.

Les prochaines étapes incluent les campagnes en mer. Une campagne de déploiement des récifs est prévue en deux parties, à savoir 6 jours en 2025 et davantage en 2026, à partir d'un navire de la Flotte océanographique française opérée par l’Ifremer. Elle consistera à déployer des récifs artificiels dans le canyon du Guilvinec du Golfe de Gascogne, et sur les monts Aglantha du banc de Porcupine, au sud de l'Irlande. Une seconde campagne de validation de la réussite de la restauration est planifiée par l'Université de Galway en Irlande, à bord du Celtic Explorer, en 2027, à la fin du projet. Trois autres sites, les Darwin Mounds, au large de l'Écosse, et un site au sud de l'Islande, seront également équipés de récifs, avec une gestion répartie entre les différents partenaires. Nous aurons une autre campagne, ESSDROPA, fin 2025, pour tester et comparer les données entre les deux systèmes d'observation des fonds meubles, le Pagure et l'essaim de micro-AUVs de la start-up DEESS évoqués précédemment.

En parallèle de ce travail très pratique, l'Ifremer est chargé d'uniformiser et d'archiver, avec nos partenaires italiens et portugais du CNR de Bologne et de l'Université d'Aveiro, l'ensemble des données et des résultats des modèles d'habitats pour tous les partenaires. Nous envisageons une communication large, à l’échelle du projet, à destination des parties prenantes, mais aussi du grand public. Nous prévoyons notamment la production avec Disney Comics d'une bande dessinée de vulgarisation scientifique pour transmettre les notions de base sur la dégradation passée, la protection et la restauration en cours des écosystèmes profonds. Cette BD sera destinée aux enfants de 6 à 12 ans.

Rédaction : Marie-Claire Fabri et Thomas Pellissier.


Marie-Claire Fabri a participé à "Une photo, une histoire", la série de podcasts de l'Ifremer qui invite chacun à plonger dans le récit d’une découverte, d’une expédition, d’un fait scientifique qui a marqué la carrière ou la vie d'un employé de l’Institut. Elle témoigne d'un petit miracle survenu dans un canyon sous-marin en 2017 lors de la campagne VIDEOCORR1. 

🐠 Un petit miracle dans un canyon sous-marin !