L'anticipation, quésaco ?

Publié par Marianne Jarry, le 3 novembre 2021   1.2k

L’objectif principal de ma thèse est d’optimiser les interactions entre l’agent artificiel et l’agent humain en donnant les clefs à l’agent artificiel pour qu’il s’adapte à l’humain. Pour ce faire j’étudie comment l’humain anticipe, comment il prévoit les événements à court et long termes. Je ne vous ai pas expliqué ce qu’est l’anticipation et pourquoi je m’intéresse à ce mécanisme en particulier.  

Qu’est-ce que l’anticipation ? 

L’anticipation est un mécanisme cognitif permettant à l’humain de prévoir les changements qui peuvent apparaitre dans une situation dans laquelle il évolue. Cette situation peut être de marcher dans la rue, de conduire une voiture à la campagne ou en ville ou plus simplement d’attraper une balle. 

Et à quoi ça sert d’anticiper ?  

Une fonction de l’anticipation est de compenser le temps entre la perception des informations présentes dans l’environnement et le traitement de ces informations par le cerveau. En effet, dans la vie de tous les jours nous n’y pensons pas mais les informations doivent voyager depuis les yeux jusqu’au cerveau. Le temps de ce voyage, même s’il peut nous paraitre court puisqu’il se compte en millième de seconde, doit être compensé. En réponse à ce délai l’humain anticipe, comme s’il cherchait à rattraper le retard qu’il pourrait avoir. En plus de ce délai, il faut compenser de potentielles interruptions du flux d’informations venant de l’environnement. Par exemple, en voiture il nous arrive de regarder dans nos rétroviseurs pour contrôler ce qu’il se passe derrière ou sur les côtés. A ce moment précis nous cessons de regarder la route devant. Cette interruption coupe alors le flux d’informations venant de la route devant. Pendant cette coupure, la voiture continue d’avancer, donc la situation change. Sans anticipation, en regardant de nouveau devant, nous serions surpris que la situation ait changé. C'est justement pour éviter cet effet de surprise et pouvoir suivre sans retard ce qu’il se passe dans notre environnement que l’humain possède la capacité de prévoir l’état futur d’un objet, donc d’anticiper. 

D’accord, mais comment l’humain anticipe-t-il ?  

Tout commence au niveau de vos yeux au niveau de la rétine plus précisément. La rétine est la région qui se situe dans le fond de l’œil, elle est composée de cellules diverses dont la plupart sont sensibles à la lumière. Ces cellules portent le nom de bâtonnets, parce qu’elles sont en forme de petits bâtons, rien d’original.  

Imaginons que vous observiez un petit point lumineux. Ce point se déplace lentement vers la droite sur un écran noir. C’est votre rétine qui va d’abord capter ce point. En effet, une partie de cette lumière va d’abord aller “frapper” un premier bâtonnet. Il va alors s’activer et commencer à envoyer un message au cerveau disant “J’ai vu quelques choses ici”. Puis un second bâtonnet va être “frappé” par la lumière dans le sens du mouvement du point (ici vers la droite). Il va alors à son tour s’activer et envoyer un message au cerveau “J’ai vu quelques choses ici”. Puis le point lumineux disparait avant de frapper un troisième bâtonnet. Seulement, comme la première puis la seconde cellule se sont activées, leur voisine dans le sens du mouvement du point, va s’activer à son tour (même sans lumière) et dire au cerveau “J’ai vu quelques choses ici”. Tout se passe comme si l’énergie des cellules précédentes était transmise et avait permis l’activation de la troisième. 

 

Voici un schéma de ce qu’il se passe, entre l’écran et le cerveau, quand nous observons le fameux point lumineux. 

Les cellules de la rétine sont activées par la lumière et notifient au cerveau qu’elles ont vu quelques choses. L’ensemble de ces messages est envoyé au cerveau qui va pouvoir les traiter. Il est temps donc de traiter ces messages. En intégrant les informations contenues dans les messages et en utilisant les connaissances en sa possession le cerveau conclu : “Un point lumineux est en mouvement de manière rectiligne vers la droite”.  

A l’intégration des informations, le cerveau crée une représentation visuelle de ce point lumineux, un peu comme une image. Attention, c’est là que ça se joue ! On parle d’anticipation car la représentation créée est en fait en avance sur l’état réel du point lumineux au moment où on le regarde. Si je vous demandais, tout de suite après la disparition du point, où est-ce que le point à disparu ? Comme c'est illustré sur la figure ci-dessous, vous répondriez plus loin qu’il ne l’était en réalité. C’est cette différence entre les deux positions qui nous donne une mesure de l'ampleur de l’anticipation. 

 

C’est donc ce que je mesure quand je vous parle d’anticipation. Je mesure l'ampleur du décalage de la représentation visuelle de l’individu par rapport à l’état réel d’une situation. 

Bien-sûr cette ampleur varie, nous n'anticipons pas tous ni tout le temps de la même manière. Ce sera le sujet d’un prochain article.