La « ville intelligente » : vers de nouvelles gouvernances territoriales

Publié par Elise Ho-Pun-Cheung, le 2 juillet 2018   1.5k

La « smart city », ou « ville intelligente » est plus qu’une expression à la mode. Elle suggère une nouvelle façon de penser la ville, sa gestion, le service urbain et l’interaction des différents acteurs qui la constituent : administrations publiques et territoriales, entreprises, habitants, associations, comité de quartier, etc.. Elle est tant le lieu des défis de l’urbanisation (complexité croissante du fait urbain, place accrue de numérique et des données personnelles, nécessité de contenir la dérive des dépenses publiques…) que des opportunités qui permettent d’y faire face. Mais la « ville intelligente » n’est pas la ville « connectée », ou du moins pas que, dans la mesure où les Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (NTCI) ne sont pas une fin en soi mais un complément d’une stratégie plus globale pour une ville. Cette stratégie consiste à bâtir une cité répondant aux besoins des parties-prenantes sur le long terme. Les TIC sont en effet associées à une nouvelle façon d’aborder la gouvernance territoriale, impliquant une véritable mission de planification et de coordination pour les collectivités.

Si je ne m’avancerai pas à dire ce qu’est la « ville intelligente » je peux ainsi annoncer ce qu’elle n’est pas : une simple ville de capteurs et gadgets.

 

La « smart city » est donc une appellation aujourd’hui largement mobilisée, tant par les acteurs publics que privés de la ville. Cet objet intéresse le champ scientifique, mais la science politique ne s’en est pas encore emparée. Il y a ainsi peu de visibilité sur les usages et impacts de l’« intelligence » sur l’action publique.  

 

Dans le cadre de ma thèse, financée par un « emploi jeune doctorant » de la région PACA, avec le soutien de Pays d’Aix Développement en sa qualité de Partenaire Economique et Social, je m’intéresse donc à la conception et la mise en œuvre de la « ville intelligente ». Plus particulièrement, j’interroge les transformations de l’action publique par le prisme des communautés d’acteurs qui prennent à bras le corps un problème public faisant encore l’objet d’une faible formalisation. Il s’agit donc de s’intéresser aux nouveaux modes de coopération, de co-construction de politiques publiques, de gouvernance, de gestion, ainsi qu’aux intérêts de la mise en connexion de la ville pour chacune des catégories d’acteurs investie dans le projet d’un territoire « intelligent ».

 

Afin de rendre compte du caractère global de la dynamique de développement de projets et de la rhétorique « ville intelligente », je ne travaille pas uniquement sur le cas du territoire aixois. Une monographie à l’étranger est un moyen de remettre en perspective les dynamiques locales dans un contexte d’internationalisation des problèmes et solutions urbaines. Les approches comparatives nous montrent combien s’éloigner d’un territoire permet ainsi de comprendre avec plus de finesse ce qui s’y joue, de mieux saisir les caractéristiques singulières de chacun au sein de dynamiques plus générales. 

 

Grâce au projet EuropeAid MEDIUM (New pathways for sustainable urban development in China’s MEDIUM sized-cities – Contrat de subvention ICI+/2014/348-005), je viens d’effectuer un séjour de six mois dans le sud de la Chine (Zhuhai, province du Guangdong), où je retournerai pour deux mois cet été. Mon travail s’est basé sur des entretiens approfondis avec les acteurs de la transition urbaine « intelligente » principalement à Guangzhou (capitale de la province), Zhuhai, et dans une moindre mesure à Beijing. Ce terrain m’a notamment permis de me pencher sur les propriétés de circularité et de reproductibilité d’expériences urbaines, à travers par exemple le cas du Bus Rapid Transit (BRT), un transport de masse durable/« intelligent ». J’approfondirai plus en avant cet exemple cet été grâce à une observation dans une structure internationale implantée à Guangzhou promouvant cette solution à travers le monde. Ce cas est loin d’être anecdotique, il illustre la large palette d’innovations urbaines qui circulent entre les villes. 


(Source photos : Institute for Transportation and Development Policy. Photos avant/après la mise en service du BRT de Guangzhou, une solution largement inspirée de Bogota et diffusée à travers le monde.) 

De manière générale, ma première année de thèse m’a permis de commencer à interroger, en plus des dynamiques circulatoires de solutions « intelligentes » portées par des acteurs aux profils très internationalisés, la mobilisation du label « smart city » dans un usage double, comme finalité et comme instrument de l’action publique territoriale. L’appellation « smart city », bien que son sens ne fasse pas consensus auprès des acteurs concernés, est en effet un instrument d’action publique de type incitatif. Il vise autant à la reproduction des « bonnes pratiques » qu’à la stimulation de l’innovation urbaine et qui compte sur la volonté de distinction des acteurs urbains dans un contexte de forte compétition entre les villes et les territoires.

 

A la lumière des apprentissages tirés de mon terrain en Chine, je consacrerai le temps restant de ma thèse à étudier ce que l’émergence d’une forme d’injonction à « l’intelligente » fait aux dynamiques de l’action publique territoriale aixoise. J’espère ainsi avoir l’occasion d’échanger avec des acteurs territoriaux et me tiens à disposition pour évoquer plus en détails mon travail.